Un policier, un voleur, des pauvres et un Breton.

Publié le par Yann-Vari

  

Il est 14h15, je prends ma pause déjeuner. Je suis en stage depuis trois semaines à la mairie de Viña del Mar, la station balnéaire de 270 000 habitants collée à Valpo.

J'ai la flemme de passer des heures à trouver un truc bon, alors je choisi le truc gras : el Guaton. Fins gourmets s'abstenir. Si on en a pour son argent, c'est plus en quantité qu'en qualité : sandwichs écoeurant avec viande, tomate et avocat en veux-tu en voilà... il suffit d'oublier de signaler « sin mayo, porfa » et vous vous retrouver avec une dose de mayonnaise bien grasse en complément. Je ne m'y trompe pas : « una hamburguesa completa sin mayo, y una Coca porfa ». Allez, j'ai fait pas mal de sport ces temps-ci, je peux me le permettre.

 

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Le fameux Guaton. Je vous rassure, j'ai pris un truc plus petit et relativement plus digeste.

 

Je suis donc Plaza Viña, un des seuls endroits relativement « beaux » de cette ville au style américain. J'attends patiemment mon sandwich, lorsquetout à coup... des cris et deux individus qui se poursuivent ! Un carabiñero tente de rattraper un jeune chilien en slalomant au milieu de la foule compacte du centre viñamarino. D'un coup le paco (terme dépréciatif, équivalent de « flic » en Français), se jette sur le malfaiteur, et d'un plaquage spectaculaire écrase le fugitif au sol, sous mes yeux, sans état d'âme. La foule se rassemble autour des deux individus, un moustachu attrape le militaire au sol par le col et le secoue violemment « Eres un enfermo ! » (« Tu es malade ou quoi ?! »). Le fugitif se relève à l'aide d'une femme et d'un jeune homme et invective violemment le carabiñero qui ne sait plus comment se défendre, se faisant bousculer de toutes parts. « Non mais vous êtes malade » renchérit la femme, lui postillonnant au visage. Enfin la foule se dissipe, le fugitif s'en va libre, et le carabiñero s'éloigne humilié sous l'oeil noir des passants.

Arrivent mon sandwich et mon Coca... je tente de relever le goût (ou de le masquer, ou d'en donner, au choix) de mon hamburger avec de l'aji (sauce piquante à base de piment – aji, en español, d'où son nom) mais impossible d'en faire sortir la moindre goûte. Quand soudain, des sirènes arrivent de toute part, des pacos à cheval sur leurs puissantes motocross débarquent de je ne sais où, roulant sur les trottoirs, évitant de peu les voitures et les piétons agglutinés en cette heure de pointe... Ca n'a évidemment pas manqué, pris par surprise, je presse plus violemment sur mon tube d'aji qui explose littéralement dans ma main, recolorant au passage mon Zola innocemment posé sur la table. Et merde... De l'autre côté de la rue, les carabiñeros font peurs, de leur uniformes militaires aux couleurs de la Stasi... mais s'éloignent d'un seul coup, jetant des regards sévères à travers leurs lunettes de soleil.

 

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Z'ont-ils pas l'air sympathiques ?

 

Alors que tant bien que mal je m'efforce de manger cette chose posée dans mon assiette, un payaso (clown sud-américain) s'approche de la table d'à côté où mange une famille chilienne. « Salut mon garçon, tu manges ? C'est bon ? Ahaha, je suis un payaso. Tu aimes bien les payasos ? Regarde je mange une glace » . Triste spectacle d'un pauvre type sans un sous, incapable de se payer un costume décent. Habituellement un clown, soit ça fait rire, soit ça fait peur. Celui-ci fait pitié, et pour l'éloigner des enfants (de futurs petits gros, ça j'en suis sûr, à venir manger des trucs aussi gras en famille), la mère lui offre de bon coeur une pièce de 100 pesos (20 centimes d'euro).

Alors que pour cacher la misère je rajoute un peu de moutarde, de sel et de ketchup entre ma tranche de pain et ma palta, une grosse femme, m'interpelle « Gnaouhallagrañaña ? ». Elle veut me vendre des pansements, je réponds poliment « Euuuh,... no gracias » . Elle se retourne vers la famille qui cette fois-ci choisit d'ignorer la miséreuse. Il faut dire qu'ils sont des milliers à Valpo et à Viña à proposer ces pansements, dans les bus, dans la rue, sur les terrasses... de quoi vous panser pendant toute une vie. Et c'est leur seule moyen de gagner leur vie, vendre des choses dont personne n'a besoin...

La famille d'à côté est partie laissant la moitié de leurs monstrueux sandwiches baignant dans la mayonnaise tournée au soleil sur la table. J'attends patiemment l'addition, après avoir renoncé au dernier quart de mon hamburger, quand un homme se jette sur la table d'à côté, embarquant en vitesse et à mains nues les sandwiches délaissés par mes voisins dans un sac plastique dégueulasse avant de s'enfuir en courant, emportant avec lui ce qui sera sûrement son repas du soir...

Voici donc Viña, la belle, propre et séduisante Viña, symbole des réalités chiliennes. Une police militaire violente mais de plus en plus contestée, des inégalités criantes masquées sous un fard de propreté et de trompeuse réussite néo-libérale. Parfois ça a du bon, ça renseigne pas mal, de se laisser aller à manger n'importe quoi. 

 

Ah oui, le Chili c'est pas non plus le pays de la gastronomie fine, mais ça vous l'avez déjà compris.

 

 

Au ban de la République (Kate-Me)

En prenant l’avenue de la République
J'ai vu un vieillard qui dormait sur un banc

Au long de l'avenue de la République
Sur le bout du petit banc 
Au long de l'avenue de la République
Il y a toutes sortes de bancs

Au début de l'avenue de la République
J'ai vu une petite fille qui allait mendiant

Remontant l'avenue de la République
J'ai vu un Indien qui demandait sa maman

Traversant l'avenue de la République
J'ai vu un jeune homme qui n'avait plus de dents

Au bout de l'avenue de la République
J'ai vu une dame qui ne s'était pas lavée depuis longtemps

Arrivés sur la place de la République
J'ai vu des gros chiens, de la bière et des enfants

Il n'y a plus d'amoureux sur les bancs publics
Sur le bout des bancs 
Il n'y a plus d'amoureux sur les bancs publics
Car il y a de drôles de gens

 

Ce sont les gueules cassées de l'Avenue de la République
Qui vont de bancs en bars, qui vont moins vite que la musique,
Qui errent en brassant l'air de l'Avenue de la République,
Qui errent en brassant l'air de leur état éthylique,
Qui embarrassent les gens de l'Avenue de la République.
Les gens embarrassés qui leur envoient les flics.
Les flics brassent un peu les gueules cassées de leurs coups de trique,
Les flics les emmènent les bras en croix, toute la clique

La clique qui va jouer en l'honneur de la République,
La clique qui va jouer sur l'Avenue de la République,
Alors les gens ne voient plus les gueules cassées de la République.
Le public salue les grands hommes de la République.

Voici enfin venue la venue de la République.

Tout au long de la République…
Tout au bord de la République…
Tout au bout de la République…Tout au banc, banc tout ce temps…

Texte : Sylvain Girault

 

Publié dans Vivre à Valpo

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B
<br /> bien écrit (attention à l'orthographe),on s' croirait en Tunisie...jadis...<br /> <br /> <br />
Répondre
Y
<br /> <br /> On est quand même pas en Tunisie ici, ni même en Egypte. <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Dis-moi... Comment arrives-tu à écrire encore des articles intéressants ?<br /> <br /> <br />
Répondre
Y
<br /> <br /> Ben là, tout m'est tombé sous les yeux, alors j'ai pas beaucoup de mérite...<br /> <br /> <br /> <br />